Ce bébé qui n'en sera jamais un
C'était en 2016. Je ne sais pas exactement quand je suis devenue enceinte. Mais je me souviens très bien de cette première écho de datation. Une routine. Comme j'étais suivie par ma généraliste, comme pour mes autres grossesses, elle avait demandé un échographie de datation. Autour de 8-9SA, le moment où le cœur peut être entendu et ses battements mesurés.
J'y suis allée seule, un matin. 11h.
Mon mari était venu avec moi pour les autres grossesses. Cette fois-ci, nous avions estimé que ce n'était pas nécessaire. Une routine.
Je me suis allongée sur la table d'examen. L'échographe a mis du gel sur mon ventre. Elle a commencé à regarder puis m'a dit "vous êtes enceinte de combien?" j'ai répondu "8 ou 9 SA". Elle m'a dit dit "passez aux toilettes, on va passer en endovaginal". A son ton, j'ai senti qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas.
Elle a fait une échographie endovaginal puis m'a dit "vous avez fait un test de grossesse? il était positif?"
J'avais fait un test urinaire et un test hormonal dont j'avais les résultats avec moi. Ce précieux dosage qui dit que j'ai porté un espoir de vie.
"Ce que j'observe ne peut pas être plus vieux que 5SA. Peut-être qu'il y a une erreur dans la date estimée de conception."
J'étais sure de ne pas m'être trompée. Je suis réglée comme du papier à musique. A ce moment là je savais que c'était fini, mais je voulais bien accepter ce doute, ce petit doute qui ressuscitait l'espoir.
J'ai envoyé un SMS à Paparose pour qu'il me rejoigne pour déjeuner. Il a compris qu'il y avait un problème, il a essayer d'appeler. Je n'ai pas pu parler. Jusque là j'étais restée calme et digne, entendre sa voix m'a fait fondre en larme.
Quand il est arrivé il m'a dit que ce n'était pas grave, que ça arrivait, qu'on n'était pas les premiers, que ce serait pour la prochaine fois.
Je le savais tout ça. Et bien sur c'était vrai.
Mais à ce moment là, j'avais toujours en moi cet embryon de 5SA dont personne ne pouvait me dire s'il avait arrêté de se développer ou s'il avait déjoué mon corps si bien réglé.
Mon médecin m'a envoyé aux urgences de la maternité. Qui n'ont pas pu m'en dire plus.
"On attend 15 jours pour voir s'il se développe"
j'ai tenté : "mais je suis sure de ne pas m'être trompée"
"sans doute madame, mais si c'était le cas, nous ne pouvons pas arrêter une grossesse qui pourrait évoluer juste sur un doute".
Et bien sûr ce n'était pas mon souhait. On le voulait ce petit troisième.
Alors je suis repartie avec un rendez-vous de fixé 15 jours plus tard.
15 jours, c’est long.
Au bout d'une semaine, j'ai commencé à avoir des saignements. Je suis retournée aux urgences de la maternité. Ils ont vérifié : rien n'avait évolué et le travail d'expulsion avait commencé. Il fallait attendre...
J'ai attendu. Une semaine de plus. Je saignais chaque jour.
Enfin est arrivé le rendez-vous fixé lors de ma première consultation aux urgences. Le 5 décembre 2016. Les 15 jours fatidiques s'étaient écoulés. J'avais eu 7 jours de saignements. Je n'avais rien expulsé du tout. On m'a proposé soit un curetage, soit un avortement thérapeutique. J'ai voulu éviter une anesthésie générale. J'ai eu peur de ne pas être bien en forme après et j'avais quand même deux enfants à la maison. Alors l'interne m'a prescrit du Cytotèc. 2 comprimés à mettre au fond du vagin en rentrant chez moi. J'ai demandé si c'était douloureux, si je devais avoir un congé maladie. L'interne m'a dit que ça me ferait comme de "grosses règles". J'étais en télétravail. je suis donc rentrée chez moi avec mes deux comprimés. Dans le bus , j'ai croisé une connaissance. Nous avons parlé de tout et de rien et moi je pensais à ce comprimé qui était dans mon sac et qui avait pour but de finir ce que la nature n'arrivait pas à faire.
Malgré ma formation et mon métier, je n'ai pas vérifié avant de prendre le comprimé. Le Cytotec est maintenant interdit dans le cadre des avortements thérapeutiques. Ce médicament a une autorisation de mise sur le marché pour les ulcères à l'estomac, mais il a été utilisé pendant des années pour aider aux déclenchements des accouchements ou pour les avortements thérapeutiques.
Je suis rentrée chez moi, j'ai mis les cachets au fond de mon vagin et j'ai travaillé.
Vers midi, j'ai commencé à avoir mal au ventre. Pas des douleurs de "grosses règles", des douleurs de contractions, même si elles étaient moins violentes que les contractions d'accouchements. Je me suis couchée un peu.
Toute l'après-midi j'ai perdu du sang et de gros caillots. J'ai cru que c'était normal. J'ai demandé à Paparose d'aller chercher les enfants à l'école car je saignais trop pour pouvoir m'absenter aussi loin des toilettes aussi longtemps.
Je ne me souviens plus trop de la soirée avec les filles. A un moment je me suis couchée dans la chambre d'amis. Fleur ne voulait pas me quitter. Qu'a-t-elle compris de cette grossesse dont nous n'avions pas parlé? Elle a insisté pour rester dormir avec moi, j'ai refusé.
A la télé il y avait Danse avec les loups.
Régulièrement je me rendais aux toilettes où je perdais beaucoup de sang.
J'ai appelé les urgences maternité pour leur demander si c'était normal d'en perdre autant. On m'a dit que ça arrivait, que tant que je n'avais pas de symptômes autre ça devrait aller. Elle m'a dit qu'elle me rappellerait dans la soirée pour voir.
Et puis à un moment je suis allée aux toilettes, mes jambes se sont dérobées, j'ai fait un malaise. Paparose a appelé le samu. Il n'y avait personne, ils lui ont conseillé d'appeler les urgences maternité. J'ai insisté. Impossible de bouger j'étais trop faible. Il y avait du sang partout dans les toilettes. Il a rappelé, ils ont envoyé les pompiers. Je me souviens de leur tête catastrophée quand ils sont entrés dans la chambre où mon mari m'avait porté.
C'est au moment où je suis montée dans l'ambulance que j'ai commencé à pleurer. Je le voulais moi ce bébé. Alors bien sûr, ça faisait 15 jours que j'avais compris que c'était fini. 15 jours que le monde médical me faisait miroiter un potentiel miracle.
Quand je suis arrivée aux urgences, la sage-femme, adorable, m'a dit "et bien le cytotec c'est pas fait pour vous"
L'échographie a montré que mes saignements, très importants, n'avait servi à rien. J'ai vu les mines devenir graves et les gestes urgents. Il allait falloir passer au bloc pour un curetage. Mais avant je devais attendre l'anesthésiste et la gynécologues qui faisaient une césarienne.
Je saignais toujours.
J'étais épuisée.
Mon mari m'a rejoint quand les filles ont eu un baby-sitter. Nous avons attendu. Impuissants.
Quand la gynecologue est arrivée, je commençais à expulser le sac embryonnaire. Elle a préféré attendre. L'examen suivant a montré que c'était fini. Mais je saignais toujours. J'ai demandé à Paparose de rentrer chez nous. Je préférais qu'il soit avec les filles à leur réveil. Je suis restée en observation. J'ai fait un nouveau malaise. Je me souviens de ces 3 femmes qui m'appelaient, elles me semblaient si loin...
Je suis sortie après une journée d'hospitalisation.
Anémie.
Un mot qui pour moi ne voulait pas dire grand chose. Un mot qui a signifié une convalescence longue. Je montais les escaliers, je devais faire une sieste. J'étendais une lessive, je devais faire une sieste. Un jour j'ai voulu aller chercher les filles à l'école et j'ai du attendre 15 minutes dans la voiture d'être en état de démarrer.
Moi l'hyperactive, moi qui fait toujours plusieurs choses en même temps je n'étais plus capable de rien. C'est terrible quand le corps ne suit plus.
Une fausse couche c'est fréquent, mais pour chacun.es d'entre nous c'est un moment unique. A ce moment il faut revoir les projections que l'on avait déjà faites sur la date de la naissance, les dates de congés maternité, éventuellement même le sexe, le prénom.
Une fausse couche c'est tabou aussi. C'est quand tu en parles autour de toi que tu réalises que beaucoup de tes amies en ont connu une sans jamais te l'avoir dit. Comme une honte liée à la peur de ne pas réussir à donner la vie.
Pourquoi j'en parle aujourd'hui? Peut-être parce que un an après avoir donné la vie une troisième fois, les deux fausses couches (il y en a eu une autre, qui est passé plus inaperçue) qui ont précédé cette troisième grossesse sont loin derrière nous. Mais aussi parce que, pour avoir suivi le compte instagram de @etdieucrea, j'ai réagi à un de ses posts où elle racontait sa fausse couche et disait que si pour les professionnels de santé, c'était habituel, pour les couples, pour les femmes, chaque situation est unique. Un petit drame. Alors que l'on parle de violence obstétricale, la violence est là aussi, tapie dans un "allez hop vous allez pouvoir recommencer l'utérus est parfait", sans vous demandez si vous êtes suffisamment en forme pour envisager même de recommencer.
Au moment même de l'hémorragie, les professionnelles qui m'ont entourées ont toutes été adorables. Mais après un peu moins de 24h de surveillance, c'est fini, tu rentres chez toi et chacun considère que tu es déjà passée à autre chose.
Je n'ai pas très bien vécue ma fausse couche, non pas pour le deuil de l'enfant imaginé qu'elle a occasionné (je l'ai vite accepté), mais pour le peu de cas que l'équipe médical (les urgences maternité notamment) et mon entourage ont pu en faire. Après l'hémorragie, j'étais exténue, dans un état de fatigue que je n'avais jamais connu et je n'ai reçu que peu de soutien (les amis ont été là, ceux de toujours) et peu d'aide. La famille de mon mari a juste été déçue que je ne puisse pas les recevoir à Noel (et certains se sont imposés quand même m'obligeant à des efforts dont mon corps a mis du temps à se remettre). Les gynécologues rencontrés m'ont fait attendre 15 jours en me donnant un faux espoir et après la fausse couche ils m'ont juste dit "ça arrive, tout est remis en ordre, vous allez pouvoir recommencer vos essais". Personne ne m'a jamais informé sur le cytotec (qui a été interdit peu de temps après). La violence obstétricale est là aussi, dans le peu de cas fait de la fatigue liée à l’hémorragie et des questionnements que peuvent entraîner une fausse couche. Dans le peu de soutien apporté à une femme qui vient de perdre plus qu'un embryon de 5SA.