Tu fais quoi dans la vie? "exploitée et toi?"
Je fais partie de ces personnes qui ont eu de la chance. Je le sais. La chance de naître en France et dans les années 80. Dans un pays et dans une époque où malgré la crise qui a commencé en 1974 et malgré le chômage qui prenait de l'ampleur un peu plus chaque jour, malgré les inégalités sociales, il restait au fond de nous, une idée de base : celle que l'école devait être accessible à tous et celle que le salarié devait être protégés. Un pays où forts de notre histoire, nous savions qu'il pouvait y avoir des déséquilibres dans les relations entre les personnes dans une entreprises et où l'état encadrait cela afin de minimiser ces déséquilibres.
Grâce à cette chance d'être née ici et à l'époque, j'ai pu faire des études. Moi la fille d'ouvriers. Moi dont la mère avait toujours rêvé de rentrer au collège. Moi dont les parents n'ont jamais pu me payer des vacances, ni des vêtements à la mode. Malgré les difficultés économiques de notre famille, j'ai pu faire des études, longues, trèèèès longues. Et un jour, j'ai invité mes parents à ma soutenance de thèse de doctorat. Ils étaient fiers. Persuadés que leur fille allait entrer dans le beau monde et faire une carrière dont ils n'auraient même pas pu rêver.
J'ai eu la chance de trouver du travail assez facilement. et pourtant au début du XXIème siècle, ce n'était pas si facile. Je n'était pas si bien payée que cela comparativement à mon diplôme, mon expérience et le poste que j'occupais, j'étais précaire aussi. Mais j'avais un emploi.
J'ai espéré être un jour moins précaire. J'ai espéré être un jour mieux payé. Mais d'après ma direction il parait que si nous n'étions pas précaires, nous serions moins motivés. Quant aux salaires, ils ne voient pas le problème.
J'ai eu deux enfants. Lors de ma première grossesse, je travaillais dans une structure correcte avec les femmes enceintes. Pourtant, j'ai attendu d'avoir signé mon renouvellement pour annoncer ma grossesse (on ne sait jamais)
Lors de ma deuxième grossesse, j'avais changé de structure. J'ai informé les DRH de ma grossesse...et reçu dans la semaine une lettre annonçant que mon contrat ne serait pas renouvelé mais que bien sur je pouvais demander à réintégrer mon poste après mon congés maternité. Tout cela était légal : la loi ne permet pas signer de contrat pendant un congés maternité et mon employeur a pris le parti de ne pas me le faire signer avant.
D'ailleurs c'est tellement le parti pris de notre structure que quand je suis arrivée dans le service j'ai été étonnée que dans cette équipe jeune (30-35 ans) et majoritairement féminine, peu avait des enfants. Lors d'un déjeuner, toutes ont avoué : "on ne peut pas, ils ne renouvellent pas les contrats des femmes enceintes".
Alors bien sur, certains diront : ça va, elle ne va pas se plaindre, elle a un boulot qui correspond à ses études, intéressant, alors que beaucoup enchaînent les stages à la cons et le chômage. Certes.
Mais à force de toujours se dire qu'on a de la chance et qu'on ne peut pas se plaindre, on oublie de se faire entendre, et on voit se profiler des lois comme celle que défend Mme El Khomri.
Loin de moi l'idée qu'il ne faut rien changer. Mais ne peut-on changer autrement?
Loin de moi l'idée que tous les patrons sont des exploiteurs. Mais ne peut-on sécuriser tout le monde?
Actuellement, je suis précaire, mes astreintes ne sont payées, mes heures supplémentaires non plus et si je ne me démène pas pour trouver les contrats qui financeront mon salaire et ceux de mon équipe en 2017, nous serons tous au chômage le 31 décembre 2016 au soir. C'est déjà une épée de Damoclès suffisante vous ne trouvez pas? Faut-il ajouter à cela que la structure pourra à tout moment baisser nos salaires s'ils ont une difficulté quelconque (et connaissant nos RH, ils ne feraient)? Faut-il ajouter à cela que les indemnités chômage pourraient ne pas nous permettre d'assurer nos dépenses minimum le temps que l'on se retourne et qu'on trouve autre chose en cas de licenciement?
Pour nous faire entendre, les réseaux sociaux se mobilisent #OnVautMieuxQueCa :
et bien sur il y a la pétition : http://loitravail.lol
Alors faites vous entendre. Défendre ses valeurs, ça ne signifie pas rester immobile. Défendre les acquis ne signifie pas ne pas vouloir changer. Le changement : oui mais pas celui-là!