Comme une bouteille à la mer
Je l'imagine au bout de sa table et déterminé, calme comme il semblait toujours l'être.
Mais peut-être était-il dans son lit, sa salle de bain ou ailleurs.
J'imagine une arme. Mais peut-être est-ce une corde ou un cocktail de pilules de couleur.
Avait-il prévu? s'était-il dit "ce sera ce jour, cette heure"?
A-t-il été submergé par cette envie, ce besoin?
A-t-il pensé à quelqu'un? à ses amis, à sa femme, à sa fille?
A-t-il occulté qu'ils étaient là ou s'est-il dit qu'ils vivraient mieux sans lui?
Qu'avait-il en tête à ce moment là? Quelle détermination faut-il pour pousser l'acte jusqu'au bout?
Des questions qui sonnent comme des bouteilles à la mer. Comme des appels à l'aide, comme ses appels à l'aide que nous n'avons peut-être pas entendu. Et chacun se repasse le film des derniers mois en ralenti. Et chacun se torture l'esprit avec cette question : qu'ai-je manqué? Aurais-je pu faire quelque chose?
Et il y a la tristesse qui parsème nos journées et la colère parfois aussi qui nous amène à penser qu'il aurait dû nous parler, que si nous ne savions pas décoder, il aurait dû savoir nous parler. Et cette culpabilité lancinant qui laisse à penser que si nous n'avons rien vu c'est que nous n'étions pas assez présent, pas assez encadrant. Et si c'était nous? Et si nous l'avions confronté à des choses trop durs, des choses qu'il ne pouvait assumer. Notre métier n'est pas facile. Nous nous construisons des carapaces. Peut-être avons nous été trop brutaux, peut-être ne lui avons pas laissé le temps de se faire une carapace assez solide?
Qu'avons-nous fait? qu'avons nous dit?
Et peut-être que cela n'a rien à voir avec nous.
Et puis il y a l'image de cette petite fille. Je ne la connait pas. Je ne peux que l'imaginer. Sans doute avec les mêmes questions. Sans doute avec des sentiments tout aussi contrastés de tristesse, de colère et de culpabilité. Et mon cœur se sert encore un peu plus.