"Et toi, tu vas bien toi?"
Cette semaine, nous avons retrouvé la joie des nuits pourries. Rose se réveille plusieurs fois dans la nuit en pleurant et se rendort rapidement mais uniquement après que je sois venue dans sa chambre, lui faire un câlin. J'ai bien essayé d'attendre un peu en me disant "elle va se rendormir" mais non, elle avait besoin que je vienne, que je lui touche le front et que je lui dise que tout allait bien.
J'ai mis du temps à faire le lien.
Il faut dire que depuis vendredi 13, j'ai une boule au ventre qui ne me quitte pas, des nuits sans sommeils qui s’enchaînent et une tristesse générale qui m'opprime.
Je n'habite pas Paris, je ne connais aucune victime des attentats. Je n'ai pas la tristesse des familles ou des victimes. Je ne pourrais jamais me prévaloir de savoir ce qu'elles vivent.
Pourtant je suis triste. Triste de voir ce monde. Triste à l'idée que le futur de mes enfants pourrait ne pas être aussi rose que je le souhaite. Triste de ne pas savoir quoi faire.
J'avais expliqué à Fleur (5 ans) dès samedi matin que "des gens ont tué pleins de gens à Paris", je l'ai rassurée sur le fait que tous nos amis étaient sains et saufs. Elle a compris que nous étions affectés par quelque chose mais que cela ne la concernait pas directement, elle a donc très vite repris sa vie d'enfant insouciant et moi ça me va.
Je n'ai pas parlé à Rose (22 mois) considérant qu'elle ne pourrait rien comprendre.
Et puis mercredi soir, alors que je la mettais au lit et qu'elle se raidissait en disant qu'elle voulait sa sœur, je me suis dit "et si elle avait besoin de savoir elle aussi?"
Je l'ai prise dans mes bras, elle m'a regardé avec ce regard incroyablement pénétrant qu'elle peut avoir et qui me donne l'impression qu'elle regarde au plus profond de moi. Je lui ai parlé. Je lui ai expliqué que nous étions triste, que des choses s'étaient passées dans une ville qui s'appelle Paris, qui est loin, mais que Papa et moi ça nous avait rendu triste. Je lui ai dit aussi que nous allions bien, que Papa, Fleur et moi nous ne risquions rien, que nous étions là avec elle, que personne n'allait partir (quand elle se réveillait la nuit, elle pleurait que Fleur était partie).
Elle m'a écouté, m'observant toujours de son regard incroyable.
Puis elle m'a dit "Et toi, tu vas bien toi?"
Je lui ai dit que oui, que j'étais un peu triste mais que ce n'était pas grave.
Alors elle a quitté mes bras, est allée chercher un livre et m'a dit "on lit?" avec un sourire magnifique.
Et la nuit d'après elle a dormi sans cauchemars.