Fermeture définitive

Cela faisait un moment que j'y pensais. Un jour, bientôt peut-être Fleur pourrait aller acheter le pain seule. Déjà un premier pas avait été franchi depuis un an environ quand elle a avait voulu entrer seule dans la boulangerie. J'étais restée à l'extérieur. La première fois, elle était revenue sans rien. Elle n'avait pas osé. La seconde fois elle avait couru à l'extérieur le pain à la main et le boulanger l'appelant pour lui donner sa monnaie. Puis l'habitude avait été prise. Elle entrait, demandait et ressortait avec le pain, la monnaie et souvent un bonbon/ une sucette ou une gougère qu'elle affectionne particulièrement.

Bientôt elle serait en âge d'y aller seule. Complètement seule. Sans que j'attende devant le magasin. Je m'inquiétais déjà pour la route à traverser. Je savais aussi que si nous organisions une régularité pour ses premiers trajets seule, le boulanger serait attentif.

J'avais déjà pensé à tout alors qu'elle n'en avait jamais parlé.

Je n'avais oublié qu'une éventualité : que la boulangerie ferme.

Hier le boulanger lui a dit "c'est la dernière fois que tu achètes mon pain, demain on ferme." J'ai cru à une blague. Ses yeux rougis m'ont ramenée à la réalité. La banque veut son dû, le tribunal de commerce estime que sa société n'est pas assez rentable. Sentence à midi, fermeture définitive à 19h. Il a fallu prévenir les employés, les clients qui avaient fait des commandes, les clients qui passaient dans l'après-midi. Les habitués du matin trouveront porte close demain.

Pourtant ils avaient de bons produits, pourtant ils avaient des clients réguliers, pourtant ils savaient faire vivre le quartier, pourtant ils étaient sympathiques, pourtant on les aimait bien.

Fleur n'ira pas chercher le pain seule, pas avant longtemps car maintenant pour aller à la boulangerie il faudra prendre la voiture.

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