Poil de carotte
Je suis rousse, enfin plutôt j'étais rousse.
Poil de carotte en primaire, Alf au collège.
A l'époque on n'appelait pas cela du harcèlement. C'était juste rigolo de se moquer de ceux qui étaient roux/gros/pauvre, de ceux qui n'avaient pas les bon vêtements, de ceux qui avaient de bonnes notes, de ceux qui n'étaient pas beau et fun.
Hier, je n'ai pas regardé le reportage dont tout le monde parle car franchement moi et mes problèmes de sommeil (nommée Rose), à 22h on s'écroule (pour mieux se réveiller après, vers 1h, 3h et 5h par exemple). J'utiliserai sans doute le replay.
C'est presque drôle de voir comment ce sujet est devenue un sujet d'actualité. Chacun en parle en le dénonçant, pour beaucoup en oubliant celui ou celle dont ils rigolaient bêtement et méchamment quand ils étaient à l'école.
Moi j'ai eu de la chance, j'ai vécu avant internet, avant les portables, avant que ces cons ne te poursuivent même dans l'intimité de ta chambre.
"mais pourquoi les gamins qui sont harcelés ne bloquent pas les gens qui les harcèlent! c'est pas dur quand même!" m'a dit une collègue qui typiquement faisait partie de ceux qui rigolait ("ouai, mais bon ils le cherchaient quand même").
Oui pourquoi? Et bien parce qu'il y a au fond de l'enfant harcelé l'envie de faire partie de ce groupe qui le harcèle.
Ai-je vécu un harcèlement? je n'en sais rien.
J'étais rousse, j'étais Alf, mes amis m'appelaient ainsi. Enfin ceux que je croyais mes amis, ceux dont j'aurais aimé être l'ami parce qu'ils semblaient cool et que je ne l'étais pas.
J'étais rousse, je n'étais pas très jolie, j'étais une bonne élève, je ne buvais pas et ne fumais pas, j'étais raisonnable, bien élevée, j'étais pauvre et portait les vêtements de mes cousines de 10 ans mes ainées. J'étais celle dont on aimait rigoler.
Harcèlement? ce mot me semble fort pour décrire ce que j'ai vécu. Pas de brimade physique, mais des rires qui me poursuivaient, me poursuivent devrais-je dire.
Ce qui est sûr c'est que tout cela m'a profondément touchée. Encore aujourd'hui j'en ressens les effets. Une sorte de paranoïa quand je sens que je ne rentre pas dans le moule. Un sentiment d'être à part, de ne pas être intéressante. Une impossibilité à rire de moi car d'autres l'ont trop fait.
Et cette peur que mes filles ne vivent la même chose. J'ai inspecté leurs cheveux de bébé pour en découvrir la couleur. Cette rousseur redoutée. L'une est auburn, l'autre semble avoir un blond un peu roux. J'espère les avoir armé suffisamment pour qu'elles ne tiennent pas compte des remarques sur leur physique.
Quand à la dernière rentrée scolaire Fleur est rentrée de l'école en pleurant, qu'elle se renfermait sur elle même et me disait que certains copains l'embêtaient tout le temps dans la cour, mon cœur s'est serré. Pas elle. C'était hors de question. J'ai laissé passé la semaine. Tout est rentré dans l'ordre, je m'en suis assurée auprès de la maitresse. Elle est même plutôt solaire, le genre de petite fille qui attire les autres. En espérant que cette assurance jamais ne fasse d'elle une harceleuse.