Les oubliés des EHPAD
Il avait 100 ans. Cela faisait un an que sa santé et sa condition physique déclinaient énormément. Il avait pu rester à domicile jusque là car ma grand-mère était présente pour s'occuper de lui, mais à 91 ans, elle perdait du poids à vue d’œil et s'épuisait. Il avait aussi des aides à domicile. Une, le matin, qui l'aidait à se lever, se laver et s'habiller. Une, le soir, qui l'aidait à se déshabiller et se mettre au lit. A 18h, il était couché. Sauf quand il décidait que ce n'était pas la peine de l'aider ce soir...mais dans ce cas c'était ma grand-mère, parfois aidé d'un de ses fils, qui l'aidait à se mettre au lit un peu plus tard.
Il est arrivé un moment où ses enfants ont fait le choix de demander une place en EHPAD. Deux demandes ont été faites. Mais la première fois qu'on les a appelé pour leur dire qu'une place était libre, ma grand-mère a refusé.
"Vous n'allez pas me l'enlever quand même!"
Elle avait déjà mal vécu le lit médicalisé qui l'obligeait à ne plus dormir dans le même lit que son mari.
La seconde fois, elle était si épuisée, qu'elle a acceptée.
Le choix de l'EHPAD ne se fait presque jamais dans la joie. C'est un choix par défaut. Le lieu où il faut aller parce qu'on a plus le choix, parce qu'il ne peut plus rester à domicile, parce que cela devient trop dangereux, parce qu'on a peur qu'il arrive quelque chose à domicile.
Ce choix par défaut fait que la plupart des personnes qui entrent en EHPAD sont dépendantes. Elles ont besoin d'aides dans les gestes quotidiens, elles ont des troubles de la mémoire....
Mon grand-père avait 100 ans, il ne marchait plus, ne voyait presque plus, entendait très mal.
Deux semaines après son admission en EHPAD, il a été hospitalisé. Il était faible, avait des troubles du rythme cardiaque. Il était dénutri. Quand nous avons demandé aux aides soignants.es s'il mangeait bien, elles nous ont répondu "c'est vrai que le plateau revenait souvent plein". Souvent, ce fut certainement toujours. Mon grand-père était aveugle. Il ne voyait pas le plateau repas qui était déposé dans sa chambre devant lui. Il aurait fallu l'aider à manger, ce que nous avions précisé lors de son admission. Mais visiblement ce n'était pas marqué dans les consignes données aux aides soignantes. Elles déposaient le plateau, et revenaient le chercher. Plein.
Malheureusement, elles n'avaient pas le temps de s’appesantir sur la question. "Et bien alors, on mange pas aujourd'hui.?" et la porte de la chambre était déjà refermée. Pas le temps pour lui de répondre, peut-être n'a-t-il même jamais entendu la question.
Le temps des aides soignants.es et des infirmiers.eres était compté. 70 résidents. 10 minutes par personne le matin pour la toilette, le midi pour les plateaux, le soir pour les plateau, 5 minutes pour la mise au lit.
Les personnels sont soumis à des logiques comptables qui les empêchent de faire correctement leur travail ce qui entraine des burn out, des dépressions.
Mardi 30 janvier a lieu une grève inédite. Elle concerne tous les personnels des EHPAD. Ces personnels seront en grève pour demander une amélioration de leurs conditions de travail et des conditions d'accueil des personnes âgées dont ils s'occupent au quotidien.
Ils sont en grève parce qu'ils savent que si on leur donne les moyens (en personnels essentiellement et en temps donc), ils peuvent accueillir les personnes âgées dépendantes dignement et accompagner leur fin de vie avec le temps nécessaire pour leur dire autre chose que des questions toute faites dont ils n'ont même pas le temps d'entendre les réponses, ni même de se soucier si la question a été entendue.
Ils sont en grève parce qu'ils n'en peuvent plus d'être vus comme des personnels "maltraitants" alors que c'est l’institution qui les maltraite et les oblige à avoir des comportements qu'eux-mêmes réprouvent.
Ils sont en grève parce que quand on a choisit d'être aide soignants.es, infirmier.ers ou tout métier en EHPAD, on ne l'a pas fait pour courir après le temps et pour limiter les coûts mais pour donner des soins.
Ils sont en grève et je les soutiens à 100% car s'il y a bien une catégorie professionnelle qui sait chaque jour ce qu'elle fait pour la France, ce sont les soignants. Et pourtant c'est à eux que l'on demande de faire des efforts, des économies, des sacrifices.
Ils sont en grève et je leur dis merci d'alerter sur leurs conditions de travail et dans le même temps sur les conditions d'accueil des personnes âgées.